Tuesday, March 5, 2013

Journal de tueurs 1 à 11


    1.     Lila


J'ai tué un homme aujourd'hui.
Je ne sais rien de lui. Ni son nom, ni son âge. Ni même s'il est marié ou si une femme l'attend quelque part ou un enfant.
J'ai tué cet homme aujourd'hui.
Jamais je n'ai tué avant.
La vérité, c'est que je ne m'en souviens pas.
Ma mémoire souffre, disparaît, s'arrange.
La seule chose dont je me souvienne c'est que je l'ai tué aujourd'hui.
C'était lui ou moi. Il est arrivé vers moi avec un couteau énorme. Je ne comprends pas bien comment je l'ai évité, comment je n'ai pas été blessée.
Mais en le voyant arriver sur moi, j'ai su immédiatement que je devais le tuer, que j'allais le tuer.
Je l'ai pris dans mes bras, peut être a t'il trébuché et est il tombé dans mes bras.
Mais soudain, ce corps contre moi, la chaleur de ce corps qui voulait ma mort... je n'ai pas réfléchi.

J'ai baissé la tête et plonger mes dents dans son cou. J'ai été aussi profondément que je pouvais et j'ai serré aussi fort que je le pouvais. Puis j'ai arraché cette chair entre mes dents et j'ai recommencé.
Le sang coulait abondamment, arrosait mon visage et l'herbe verte à nos pieds.
Je ne sais même pas s'il a crié.
Je me suis arrêtée quand il est tombé. Ses bras serrés autour de mon corps se sont ouverts et il est tombé.
Je ne pouvais plus bouger. Quelque chose en moi avait changé. Je venais de tuer un homme.
Un homme!
Pas un enfant, un bébé ou une femme, non, un homme. Un homme grand et fort, un tueur peut être puisqu'il avait foncé sur moi.
J'ai baissé les yeux sur ce corps et une lumière au fond de ma mémoire s'est mise à briller, comme un message qui me racontait: cet homme tu le connais.
Mais ma mémoire disparaît. Alors je ne sais plus. Et puis maintenant, je ne me souviens même plus de son visage.
Je me concentre pour me souvenir qu'aujourd'hui, j'ai tué un homme.
C'était ce matin, à l'aube. Le soleil était encore loin et une vague lueur éclairait les rues.
Je crois oui que c'était l'aube....
Mais je ne sais pas pourquoi j'étais déjà debout, je ne sais pas pourquoi j'étais dehors.
Mais je savais que je devais tuer aujourd'hui. Je savais depuis que j'avais ouvert les yeux que quelque chose changeait en ville, je savais ... que je devais nourrir cette pulsion en moi qui me commandait de commettre un acte que je n'avais jamais fait.
Alors j'ai tué.
Et quand il est tombé, j'ai regardé son visage, puis j'ai avancé.
Mon destin n'était pas là, il fallait avancer.


2.     Jean Luc


La mort c'est mon métier. Je suis tueur professionnel.
J'ai toujours aimé me présenter comme ça.
La vérité est moins glamour.
Je ne tue pas des gangsters, ni le mari infidèle des ménagères.
Mon meurtre est toujours légitime et je ne parle pas de légitime défense.
Je tue ceux qui doivent mourir, je tue des plus petits que moi, des faibles, élevés en batterie pour finir dans mon abattoir...
Je suis un tueur professionnel, un tueur de poulets, de canards, de veaux, de moutons et de cochons.
Je tue ces animaux qui vivent une vie morbide et viennent nourrir les hommes dans des barquettes au supermarché.
Enfin, ça c'est que je faisais jusqu'à aujourd'hui.
Car aujourd'hui il n'y a plus aucune bête qui n'arrive dans mon abattoir et les machines s'arrêtent et ma machine s'arrête...
Je ne sais rien faire d'autre de mes mains, de ma tête, de ma vie. Je n'ai jamais rien appris d'autre et si je ne suis plus utile dans cet abattoir alors, comme les machines que je dois débrancher, je voudrais couper le courant qui m'alimente, je voudrais me débrancher.
Mais je ne suis pas une machine.
Et je ne suis pas seul.
Je n'ai pas d'enfant.
Je n'ai pas de femme non plus.
Ça fait plus de vingt ans que je fais ce métier, trente ans que je prends soin de ma vieille mère qui chaque année devient plus vieille... et chaque année me répète combien elle a de plus en plus besoin de moi.
Alors maintenant, parce que tout change, qu'un monde nouveau commence, un monde sans abattoir à faire tourner, je deviens ses yeux, ses oreilles, ses mains et ses pieds.
Elle reste celle qui parle pour moi car de tout ce qui vieilli, il n'y a que sa voix qui ne prend pas une ride.
Sa voix forte et dure, sa voix qui décide tout pour moi. Sa voix que je voudrais éteindre quand elle commence à geindre au milieu de la nuit, nuit où seul dans mon lit je prends ce qu'aucune femme ne m'a jamais donné.
Je suis un tueur professionnel.
Et si le monde change, peut être est-il temps que mes victimes changent aussi.


3.     Eliot


Je suis un scientifique.
Je suis un homme de science. Alors je suis rationnel. On attend de moi que je le sois.
Je suis l'un des meilleurs dans mon domaine. Je suis même sûrement le meilleur.
On m'a appelé avant même que je ne finisse mes études, fait passer des milliers de tests. J'étais bon. Très bon.
Alors sans vraiment que je puisse dire non, je travaillais, diplôme en poche, pour la sécurité nationale.
Grassement payé pour faire de la recherche, trouver les réponses aux questions insolubles, rendre la fatalité moins fatale. Faire ce que j'aime le plus: être le meilleur, réussir où les autres ont échoué.
Je pensais travailler pour un labo pharmaceutique quelconque.
Je me suis dit qu'ils allaient devenir riches grâce à moi. La réalité était autre.
Ils continuaient de me tester, vérifier mes capacités et ma propension à me taire. Je trouvais le vaccin le plus efficace à toutes ces merdes qui tuent des milliers de gens dans le monde mais jamais les médias n'annonçaient mes découvertes.
Et les gens dans le monde continuaient de mourir.
Un jour, on m'a appelé pour me dire que j'étais le meilleur, que mes solutions dépassaient mes prédécesseurs et qu'il était dommage de ne pas mieux exploiter mon potentiel, mes capacités.
Puisque je trouvais la parade à tous les mortels virus qu'on me proposait, il était temps pour moi de passer dans la catégorie au dessus: créer un virus.
Mais pas n'importe quoi, non, un virus agressif qui tue, un virus que l'armée pourrait utiliser.
J'ai dépassé leurs espoirs. Mais je n'ai pas trouvé l'anti virus. Je n'ai pas eu le temps.
Ma muse m'a quitté, troqué contre un pèquenot d'artiste qui peignait des graffitis sur des murs et rêvait d'être exposé dans les plus grands musées.
Ça n'arrivera pas.
J'ai perdu mon calme, ma raison. J'ai cessé d'être docile et rationnel. J'ai cessé d'être un homme bon.
Je suis devenu un tueur.
J'ai transporté une bombe dans une petit fiole, j'ai berné tout le monde et le pays est à feu et à sang depuis.
Je suis un scientifique
Je devrais être un homme rationnel
Par amour, je suis devenu un assassin.
Et sur mes mains, coule le sang de milliers d'innocents.
Je suis un scientifique, je suis un assassin.


4.    Lila


Je suis devant ces grilles depuis des heures.
Je ne sais pas pourquoi je suis là, je ne sais pas comment je suis arrivée là.
De l'autre côté, un homme me regarde.
Je vois la peur dans son regard.
Je ne comprends pas ce qui l'effraie.
Je ne suis qu'un petit bout de femme, et il ne veut pas m'aider, il ne veut pas m'approcher.
Les sons qui sortent de ma bouche ne forment plus des mots.
Je ne sais plus parler. Je sens la motricité qui faiblit, je sens une bête qui s'installe dans mon corps et ma tête regarde sans comprendre, sans pouvoir lutter.
Quand je regarde cet homme de l'autre côté de la grille, je sens monter en moi une puissante envie de meurtre.
Pourtant je ne connais pas cet homme. Mais une rage inconnue à pris possession de moi.
Je suis devant cette grille depuis des heures, je suis ici depuis des jours.
J'ai soif de sang qui coule et cette rage seule me maintient debout.
Mon corps est douleur et je voudrais tomber.
Mais la rage me maintient debout devant cette grille.
Cet homme je vais le tuer.


5.     Marcelle


Trois jours qu’il ne travaille plus.
Je vois bien qu’il devient fou. Je sens une haine monter en lui et je suis l’objet de cette haine.
Je suis une mauvaise mère.
J’ai pourri cet enfant, j’ai tout fait pour le garder pour moi et je sens que mon amour étouffant l’a transformé en monstre.
Ce n’est pas encore un monstre, mais le masque d’enfant modèle se fissure. Je vois les tentacules du monstre qui déchirent la peau de mon enfant, de mon bébé. Je vois sortir le monstre que j’ai créé.
Tout est ma faute.
Jamais je n’aurai du le couver ainsi, lui demander autant d’attention. Moi, sa mère…
Il sera à l’image de ce que j’ai été ces dernières années : un monstre d’égoïsme.
Et si je ne veux pas être sa première victime, il faut tout de suite que je me ressaisisse.
J’ai perdu mon enfant.
C’est la faute à Jojo.
Tout est la faute de cet idiot ! S’il ne m’avait pas quittée deux mois après m’avoir engrossée, s’il avait assumé ses responsabilités de père plutôt que de fuir, se bourrer la gueule et se tuer en bagnole… si je ne l’avais pas tant aimé…
Maudit Jojo ! S’il était resté près de moi, notre enfant ne serait pas en train de devenir le monstre qu’il devient.
C’est trop tard.
Trop tard pour revenir en arrière, avorter, trouver un autre homme, élever autrement mon enfant. C’est trop tard.
Trop tard pour fuir.
J’entends ses pas dans l’escalier. Il est décidé. Je le sens au bruit de ses pieds sur le parquet qui grince.
Ce n’est pas le même pas, ce n’est pas le même poids.
« Clic »
Il est armé. C’est trop tard.
Le monstre est sorti et je serai sa première victime.
Dieu, en ces temps malheureux, ait pitié de mon âme, je ne suis qu’une pauvre pécheresse qui a trop aimé son enfant. Mon Dieu, accueille moi près de toi, fait moi une place sur ton nuage, l’enfer est arrivé sur la terre et mon enfant a décidé d’en finir avec moi.
Amen


6.     Jean Luc


Il y a trois jours, les médias annonçaient l’apocalypse :
 « Restez chez vous, n’ouvrez la porte à personne, n’entrez en contact avec personne. Une période de quarantaine est annoncée, il faut mettre fin à l’épidémie. »
Il y a trois jours, j’ai cessé de travailler. Plus aucun animal dans mon abattoir.
L’odeur de la mort me manque, l'odeur du sang, du dernier souffle qui expire.
Les rues des grandes villes doivent être désertes … ou pleines de gens à tuer.
Des gens ou des monstres. On ne sait plus ce qu’ils sont.
Et puis ici, il n’y a rien à faire. Plus de télé, plus personne n’émet, plus de radio, plus de téléphone... pas de voisins !
L’apocalypse !
Tout le monde est chez soi, à finir les restes du frigo et des placards. Et quand ils auront faims, ils deviendront tous des assassins.
Je dois protéger Mère de tout ça.
Mais je n’en peux plus d’être ici.
Le générateur tiendra bien 40 jours.
Je vais remplir le congélateur avec les animaux de la basse cour. De toute façon, Mère n’aura pas la force de s’en occuper. Et j’ai besoin de recommencer à tuer. Dérouiller ma carcasse qui s’ankylose de ne plus rien faire.
Puis il me faut une arme. Un fusil, des cartouches. Un sac de voyage. Un duvet. De quoi manger.
Si je prends le camion Mère ne pourra plus partir.
Si je pars à pied, il me faudra plus de munitions…
De toute façon, Mère ne sait pas conduire.
Il est temps de partir. Partir à la conquête du monde.
Changer d’avenir et devenir un véritable tueur, le tueur qui sauvera l’humanité.
Ou l’idiot qui mourra de faim au milieu d’un désert humain, dévoré par des bêtes affamées…


7.     Elisa


Elle m'a embrassée.
Ca ne signifie rien pour elle. Juste un baiser pour rire.
Un pied de nez à nos 30 ans, mon célibat et son nouvel amant.
Pour elle, le monde reste le même.
Pour moi, quelque chose change. D'ailleurs, je sens le changement qui commence en moi.
Des années que je l'aime en silence et elle ne voit rien.
Elle a enfin quitté Eliot. J'étais si heureuse lorsqu'elle m'a annoncée la nouvelle.
Si déçue lorsqu'elle m'a avouée qu'elle était déjà avec un autre homme.
Une rage monte en moi.
Une envie de meurtre.
J'aimerai tuer cet inconnu, cet homme qui me vole mes nouvelles illusions.
C'est étrange. Je n'ai plus envie de pleurer. Son baiser m'a donné une force étrange et je la sens qui se disperse dans mon corps, elle s'éparpille en moi détruisant petit à petit mes faiblesses.
Je me sens forte.
Je me sens puissante.
Le monde m'appartient.
Lila sera à moi.
Je serai un tueur, mais plus aucun homme ne me brisera le coeur.

8.     Eliot


Je suis un monstre.
Le monde est à feux et à sang parce que j'ai voulu détruire la femme que j'aime.
J'ai mis au monde le plus horrible des virus, une arme de destruction massive, et parce que j'ai perdu la raison un instant, ce virus se répand comme un incendie soufflé par le vent sur une forêt desséchée.
Dans sa tasse de café, j'ai versé le poison mortel, quelques gouttes de virus qui sous quelques heures l'ont transformée en machine à tuer.
Je voulais qu'elle tue mon rival, je voulais qu'elle soit infectée.
Mais je n'avais jamais testé le virus sur les hommes et les rats s'entretuaient sans avoir le temps de contaminer leur congénères.
La Terre entière sera bientôt contaminée.
Un poison mortel se déverse sur la Terre, contaminant les hommes, les bêtes, les plantes?
Je ne sais même pas s'il est capable de se transmettre autrement que par la salive, je ne sais même pas s'il pourrait muter...
Ils ont commencé par mettre la ville en quarantaine et découvert, quelques heures après, que d'autres villes étaient infectées.
Les pays voisins ont voulu fermer les frontières mais l'infection avait déjà franchi les frontières.
Je suis un monstre.
J'ai choisi le pire jour pour commettre mon crime: son anniversaire.
Le virus se développe si vite, qu'à peine contaminé, le porteur sain contamine sans le savoirs on entourage.
Les gens ignorent à quel point ils partagent leur salive. Quelques gouttes seulement sont "mortelles".
Un postillon, un baiser, un verre partagé, une cuillère... Et le virus prospère.
Je ne touche plus rien ni personne depuis que j'ai versé le poison dans son café.
Il semble qu'il ait fallu 24 heures pour qu'elle se transforme en machine à tuer.
C'est plus long qu'avec les rats.
Je ne vais plus au laboratoire. Ils savent sûrement que je suis responsable du drame qui se joue sur la Terre.
Je n'ai pas trouvé l'anti-virus et enfermé dans mon grenier je ne pourrais pas le découvrir.
Je suis un lâche assassin qui se cache terré comme un rat en attendant la fin de l'enfer.
Je suis un lâche, un assassin, un monstre.
Et je reste enfermé dans un grenier à attendre que la mort vienne me trouver.


9.   Charles


La première fois que j’en ai vu un, c’était ici.
Là, dans cette salle d’urgences.
Personne ne parvenait à la calmer.
Une femme, une furie. C’était une femme tempête.
Deux policiers tentaient de la maintenir sur un lit médicalisé.
Un des hommes avait été mordu et saignait abondamment.
Un infirmier est arrivé et a tenté de la sédater.
Lorsque l’aiguille est entrée dans son bras, un bref instant, elle a cessé de bouger.
Il a rapidement appuyé sur le piston de l’aiguille, pendant qu’elle tournait son visage dans sa direction.
Alors j’ai vu ses yeux.
Injectés de sang et plein de larmes.
De sa bouche, une salive abondante s’écoulait.
Brutalement, elle s’est relevée, comme si rien ne la maintenait.
Les officiers sont tombés au sol et elle s’est jetée sur l’infirmier, la tête la première en direction de sa nuque nue, offrant ses veines, son sang, sa vie… elle l’a tué.
Le sédatif ne l’a pas endormie. Il a apaisé une souffrance immense et lui a donné plus de force pour attaquer ceux qui l’entouraient.
A cet instant j’ai compris que la seule chose qui épargnerai la vie des autres patients, c’était sa mort, sa mort à elle.
J’ai attrapé le scalpel qui attendait qu’on l’utilise enfin, et comme un fou aveugle, j’ai marché droit sur elle, à contre courant de tous ceux qui la fuyait, et face à elle, j’ai tranché sa gorge.
J’ai ouvert le flux des veines pour vider la pompe centrale.
Le sang a giclé partout.
Je baignais debout dans le sang de cette inconnue.
Ignorant la mort qui allait la frapper d’une seconde à l’autre, elle s’est jetée sur moi.
J’ai mis mon bras devant sa bouche écumante.
Elle a fermé ses dents sur ma chair.
La douleur était si grande que j’ai crié, pleuré sans pouvoir retenir ces larmes qui envahissaient mes yeux sans autorisation.
Puis elle est tombée.
La pompe était vide, sèche. Son cœur ne pouvait plus fonctionner, elle entrait dans le monde de la mort.


10  Marcelle


Il prend son temps. Ce temps qui m’est compté, ses secondes qui me plongent de plus en plus dans le noir, dans la mort.
Je sens déjà l’odeur de la mort sur mon corps alors que dans ma poitrine mon cœur bat encore.
L’odeur de la peur. Je pue la peur.
Une vieille femme qui pue la peur.
Une vieille femme de cinquante cinq ans.
Mais quelle honte !
Relève-toi vieille carcasse !
On n’est pas finie à 50 ans.
Tu peux encore changer ta vie, tu peux encore refaire ta vie.
Mais il faut être vivant pour ça.
Et trempée dans la sueur de ma peur, je suis déjà à moitié morte.
« Réveillez vous » dit la revue posée à mes pieds.
Un sursaut.
Il est encore temps.
Ses pas sont lents dans cet escalier qui grince ma chanson mortuaire.
Dans le coffre, l’arme de Jojo…
Mon Dieu, pardonnez moi.
Oui, j’y pense…. Un avortement tardif, tuer mon enfant de 38 ans…
C’est lui ou moi…
Mais pourquoi lui plutôt que moi ?
J’ai peur de la mort. J’ai tellement peur.
Mon Dieu, comme je suis lâche.
Il ouvre la porte.
Je suis là, assise dans mon éternel fauteuil, couverte de mon éternelle couverture.
On pourrait croire que j’ai 80 ans.
J’en ai 55.
Et dans ma main droite, serrée sous la couverture, l’arme de Jojo.
Chargée depuis bientôt 40 ans d’une balle que je n’ai jamais tirée.
Je suis une couarde, la mort est la seule chose que je ne peux regarder en face.
Alors la porte s’ouvre et je baisse les yeux.
Je vois son fusil à bout de bras.
C’est mon fils. Je dois le regarder.
Je ne peux pas le tuer sans même le regarder, comme un voleur, un meurtrier.
C’est mon fils. Mon fils unique.
Le fruit de mes entrailles, ma créature, mon monstre.
Je pleure en silence et je lève les yeux.
Comme je suis lâche.
Me voilà prête à supplier pour rester en vie, pour ne pas le tuer.
Mais son visage est doux, serein.
Il n’y a pas la haine que j’attendais, il n’y a pas la rage.
Il est calme. Il est décidé.
Il me quitte.
Le monde a changé.
Il ne connaît rien de ce qu’était le monde avant et il ne veut pas faire semblant de vivre dans cette ferme maintenant.
Il veut changer sa vie. Il veut vivre.
Alors il s’en va.
Il ne s’excuse pas de m’abandonner. Il ne m’abandonne pas.
Le fusil est pour moi. Une boite de cartouches aussi.
Pour me défendre si on m’attaque.
Dans le congélateur de quoi tenir 40 jours.
Tout le temps de la quarantaine.
S’il survit dehors, il reviendra peut être.
Il m’embrasse.
Maman, je t’aime.
Et il s’en va.
En silence, au milieu de mes larmes je crie, Jean Luc, mon fils, je t’aime.
Pardon.
Adieu mon fils.


11. Elisa


C'était une magnifique fête d'anniversaire.
J'avais organisé tout dans les moindres détails.
J'avais simplement oublié combien je haïssais les hommes et je me suis souvent sentie étouffer sous leur présence surabondante à cette soirée.
Depuis le baiser de Lila, il me semble que je les hais encore plus.
J'ai passé la soirée à les embrasser, à les fuir et à préparer leur mort.
J'ai mis au point des milliers de possibilités pour les tuer. Je me sentais tellement capable de le faire que je prenais la fuite. J'ai eu cent fois la crainte de commettre l'irréparable.
Puis je l'ai fait.
Il était là, ce nouvel amant. Si fier, au bras de mon amie, mon aimée que je ne pourrais sûrement jamais posséder.
Un instant, il l'a laissée, ne pouvant rester près d'elle à chaque instant, dans cette soirée où tous étaient là pour elle.
Alors je l'ai suivi. Surveillé comme un chat surveille sa souris sournoisement caché dans un coin à l'abris des regards.
C'était ma proie. Et comme un chat, je voulais l'attraper, jouer avec et l'achever d'un coup fatal.
Dès qu'il a été seul, je l'ai séduit sans difficulté, conduit discrètement dans une chambre et quand il a cru qu'il pourrait prendre ce qu'aucun n'a jamais eu, j'ai planté dans sa gorge un couteau.
Il n'a même pas eu le temps de crier.
J'ai vu dans ses yeux la surprise. Ses mains gluantes qui s'accrochaient à ma peau sont tombées le long de son corps déjà allongé sur son lit de mort. Son sexe raide s'est effondré comme un château de carte sur lequel j'aurai soufflé. J'ai craché sur son torse cette salive contaminée par ce goût amer du dégoût des hommes.
J'ai quitté ce lit, glissé mon corps sous la douche brûlante pour me laver de cette souillure horrible qu'est le contact d'un corps d'homme puis, en oubliant le crime que j'avais commis, j'ai remis ma robe de bal, mes escarpins rouges, j'ai couvert le corps d'un drap, poussé les vêtements sous le lit, puis je suis ressortie.
Lila ne l'a pas cherché longtemps.
Elle est rentrée chez elle, comme si elle savait déjà qu'il ne pourrait pas l'accompagnée.
Je l'ai suivie, espérant lui voler un autre baiser, m'endormir près d'elle, mais elle voulait rester seule.
Le lendemain, la police a frappé à ma porte.
Ils avaient trouvé un corps dans la maison que j'avais louée pour la soirée.
La femme de ménage que j'avais recruté pour tout nettoyer les avait appelée en panique en début d'après midi quand elle avait commencé à nettoyer les chambres. L'une d'elle était fermée à clefs. Elle avait eu du mal à trouver le double et quand enfin elle était entrée dans la chambre, quand elle avait retirer le premier drap sur le lit, son hurlement avait pétrifié le temps.
C'est la voix cassée, tremblotante qu'elle avait appelé la police, les secours. Elle n'avait réussi à dire qu'un mot: mort. Elle avait répété, hébétée, mort, mort, mort... incapable de donner son nom, l'adresse. Elle restait au bout du fil, la voix atone à répéter, sans discontinuer, le seul mot qu'elle pouvait prononcer pour raconter l'horreur que ces yeux avaient du affronter: mort, mort, mort...
La police avait eu du mal à localiser l'appel, à trouver les lieux. Ils avaient trouvé la femme de ménage dans un état catatonique, recroquevillée sur elle même incapable de parler.
Elle était en état de choc.
J'étais indifférente à la nouvelle.
J'avais commis mon premier meurtre. Et je n'avais pas l'intention de m'arrêter là.
Une pulsion puissante prenait de plus en plus possession de moi.
Je me sentais puissante, invincible.
Ils ont dit qu'ils attendaient que je m'habille. Je devais les accompagner au poste, pour une déposition.
Un sourire narquois ne quittait pas mon visage.
Ils ont su.
Je n'ai pas cherché à mentir


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