1. Lila
J'ai tué un
homme aujourd'hui.
Je ne sais
rien de lui. Ni son nom, ni son âge. Ni même s'il est marié ou si une femme
l'attend quelque part ou un enfant.
J'ai tué cet
homme aujourd'hui.
Jamais je
n'ai tué avant.
La vérité,
c'est que je ne m'en souviens pas.
Ma mémoire
souffre, disparaît, s'arrange.
La seule
chose dont je me souvienne c'est que je l'ai tué aujourd'hui.
C'était lui
ou moi. Il est arrivé vers moi avec un couteau énorme. Je ne comprends pas bien
comment je l'ai évité, comment je n'ai pas été blessée.
Mais en le
voyant arriver sur moi, j'ai su immédiatement que je devais le tuer, que
j'allais le tuer.
Je l'ai pris
dans mes bras, peut être a t'il trébuché et est il tombé dans mes bras.
Mais
soudain, ce corps contre moi, la chaleur de ce corps qui voulait ma mort... je
n'ai pas réfléchi.
J'ai baissé
la tête et plonger mes dents dans son cou. J'ai été aussi profondément que je
pouvais et j'ai serré aussi fort que je le pouvais. Puis j'ai arraché cette
chair entre mes dents et j'ai recommencé.
Le sang
coulait abondamment, arrosait mon visage et l'herbe verte à nos pieds.
Je ne sais
même pas s'il a crié.
Je me suis
arrêtée quand il est tombé. Ses bras serrés autour de mon corps se sont ouverts
et il est tombé.
Je ne
pouvais plus bouger. Quelque chose en moi avait changé. Je venais de tuer un
homme.
Un homme!
Pas un
enfant, un bébé ou une femme, non, un homme. Un homme grand et fort, un tueur
peut être puisqu'il avait foncé sur moi.
J'ai baissé
les yeux sur ce corps et une lumière au fond de ma mémoire s'est mise à
briller, comme un message qui me racontait: cet homme tu le connais.
Mais ma
mémoire disparaît. Alors je ne sais plus. Et puis maintenant, je ne me souviens
même plus de son visage.
Je me
concentre pour me souvenir qu'aujourd'hui, j'ai tué un homme.
C'était ce
matin, à l'aube. Le soleil était encore loin et une vague lueur éclairait les
rues.
Je crois oui
que c'était l'aube....
Mais je ne
sais pas pourquoi j'étais déjà debout, je ne sais pas pourquoi j'étais dehors.
Mais je
savais que je devais tuer aujourd'hui. Je savais depuis que j'avais ouvert les
yeux que quelque chose changeait en ville, je savais ... que je devais nourrir
cette pulsion en moi qui me commandait de commettre un acte que je n'avais
jamais fait.
Alors j'ai
tué.
Et quand il
est tombé, j'ai regardé son visage, puis j'ai avancé.
Mon destin
n'était pas là, il fallait avancer.
2. Jean Luc
La mort
c'est mon métier. Je suis tueur professionnel.
J'ai
toujours aimé me présenter comme ça.
La vérité
est moins glamour.
Je ne tue
pas des gangsters, ni le mari infidèle des ménagères.
Mon meurtre
est toujours légitime et je ne parle pas de légitime défense.
Je tue ceux
qui doivent mourir, je tue des plus petits que moi, des faibles, élevés en
batterie pour finir dans mon abattoir...
Je suis un
tueur professionnel, un tueur de poulets, de canards, de veaux, de moutons et
de cochons.
Je tue ces
animaux qui vivent une vie morbide et viennent nourrir les hommes dans des
barquettes au supermarché.
Enfin, ça
c'est que je faisais jusqu'à aujourd'hui.
Car
aujourd'hui il n'y a plus aucune bête qui n'arrive dans mon abattoir et les
machines s'arrêtent et ma machine s'arrête...
Je ne sais
rien faire d'autre de mes mains, de ma tête, de ma vie. Je n'ai jamais rien
appris d'autre et si je ne suis plus utile dans cet abattoir alors, comme les
machines que je dois débrancher, je voudrais couper le courant qui m'alimente,
je voudrais me débrancher.
Mais je ne
suis pas une machine.
Et je ne
suis pas seul.
Je n'ai pas
d'enfant.
Je n'ai pas
de femme non plus.
Ça fait plus
de vingt ans que je fais ce métier, trente ans que je prends soin de ma vieille
mère qui chaque année devient plus vieille... et chaque année me répète combien
elle a de plus en plus besoin de moi.
Alors
maintenant, parce que tout change, qu'un monde nouveau commence, un monde sans
abattoir à faire tourner, je deviens ses yeux, ses oreilles, ses mains et ses
pieds.
Elle reste
celle qui parle pour moi car de tout ce qui vieilli, il n'y a que sa voix qui
ne prend pas une ride.
Sa voix
forte et dure, sa voix qui décide tout pour moi. Sa voix que je voudrais
éteindre quand elle commence à geindre au milieu de la nuit, nuit où seul dans
mon lit je prends ce qu'aucune femme ne m'a jamais donné.
Je suis un
tueur professionnel.
Et si le
monde change, peut être est-il temps que mes victimes changent aussi.
3. Eliot
Je suis un
scientifique.
Je suis un
homme de science. Alors je suis rationnel. On attend de moi que je le sois.
Je suis l'un
des meilleurs dans mon domaine. Je suis même sûrement le meilleur.
On m'a
appelé avant même que je ne finisse mes études, fait passer des milliers de
tests. J'étais bon. Très bon.
Alors sans
vraiment que je puisse dire non, je travaillais, diplôme en poche, pour la
sécurité nationale.
Grassement
payé pour faire de la recherche, trouver les réponses aux questions insolubles,
rendre la fatalité moins fatale. Faire ce que j'aime le plus: être le meilleur,
réussir où les autres ont échoué.
Je pensais
travailler pour un labo pharmaceutique quelconque.
Je me suis
dit qu'ils allaient devenir riches grâce à moi. La réalité était autre.
Ils
continuaient de me tester, vérifier mes capacités et ma propension à me taire.
Je trouvais le vaccin le plus efficace à toutes ces merdes qui tuent des
milliers de gens dans le monde mais jamais les médias n'annonçaient mes
découvertes.
Et les gens
dans le monde continuaient de mourir.
Un jour, on
m'a appelé pour me dire que j'étais le meilleur, que mes solutions dépassaient
mes prédécesseurs et qu'il était dommage de ne pas mieux exploiter mon potentiel,
mes capacités.
Puisque je
trouvais la parade à tous les mortels virus qu'on me proposait, il était temps
pour moi de passer dans la catégorie au dessus: créer un virus.
Mais pas
n'importe quoi, non, un virus agressif qui tue, un virus que l'armée pourrait
utiliser.
J'ai dépassé
leurs espoirs. Mais je n'ai pas trouvé l'anti virus. Je n'ai pas eu le temps.
Ma muse m'a
quitté, troqué contre un pèquenot d'artiste qui peignait des graffitis sur des
murs et rêvait d'être exposé dans les plus grands musées.
Ça
n'arrivera pas.
J'ai perdu
mon calme, ma raison. J'ai cessé d'être docile et rationnel. J'ai cessé d'être
un homme bon.
Je suis
devenu un tueur.
J'ai
transporté une bombe dans une petit fiole, j'ai berné tout le monde et le pays
est à feu et à sang depuis.
Je suis un
scientifique
Je devrais
être un homme rationnel
Par amour,
je suis devenu un assassin.
Et sur mes
mains, coule le sang de milliers d'innocents.
Je suis un
scientifique, je suis un assassin.
4. Lila
Je suis
devant ces grilles depuis des heures.
Je ne sais
pas pourquoi je suis là, je ne sais pas comment je suis arrivée là.
De l'autre
côté, un homme me regarde.
Je vois la
peur dans son regard.
Je ne
comprends pas ce qui l'effraie.
Je ne suis
qu'un petit bout de femme, et il ne veut pas m'aider, il ne veut pas
m'approcher.
Les sons qui
sortent de ma bouche ne forment plus des mots.
Je ne sais
plus parler. Je sens la motricité qui faiblit, je sens une bête qui s'installe
dans mon corps et ma tête regarde sans comprendre, sans pouvoir lutter.
Quand je
regarde cet homme de l'autre côté de la grille, je sens monter en moi une
puissante envie de meurtre.
Pourtant je
ne connais pas cet homme. Mais une rage inconnue à pris possession de moi.
Je suis
devant cette grille depuis des heures, je suis ici depuis des jours.
J'ai soif de
sang qui coule et cette rage seule me maintient debout.
Mon corps
est douleur et je voudrais tomber.
Mais la rage
me maintient debout devant cette grille.
Cet homme je
vais le tuer.
5. Marcelle
Trois jours
qu’il ne travaille plus.
Je vois bien
qu’il devient fou. Je sens une haine monter en lui et je suis l’objet de cette
haine.
Je suis une
mauvaise mère.
J’ai pourri
cet enfant, j’ai tout fait pour le garder pour moi et je sens que mon amour
étouffant l’a transformé en monstre.
Ce n’est pas
encore un monstre, mais le masque d’enfant modèle se fissure. Je vois les
tentacules du monstre qui déchirent la peau de mon enfant, de mon bébé. Je vois
sortir le monstre que j’ai créé.
Tout est ma
faute.
Jamais je
n’aurai du le couver ainsi, lui demander autant d’attention. Moi, sa mère…
Il sera à
l’image de ce que j’ai été ces dernières années : un monstre d’égoïsme.
Et si je ne
veux pas être sa première victime, il faut tout de suite que je me ressaisisse.
J’ai perdu
mon enfant.
C’est la
faute à Jojo.
Tout est la
faute de cet idiot ! S’il ne m’avait pas quittée deux mois après m’avoir
engrossée, s’il avait assumé ses responsabilités de père plutôt que de fuir, se
bourrer la gueule et se tuer en bagnole… si je ne l’avais pas tant aimé…
Maudit Jojo
! S’il était resté près de moi, notre enfant ne serait pas en train de devenir
le monstre qu’il devient.
C’est trop
tard.
Trop tard
pour revenir en arrière, avorter, trouver un autre homme, élever autrement mon
enfant. C’est trop tard.
Trop tard pour
fuir.
J’entends
ses pas dans l’escalier. Il est décidé. Je le sens au bruit de ses pieds sur le
parquet qui grince.
Ce n’est pas
le même pas, ce n’est pas le même poids.
« Clic »
Il est armé.
C’est trop tard.
Le monstre
est sorti et je serai sa première victime.
Dieu, en ces
temps malheureux, ait pitié de mon âme, je ne suis qu’une pauvre pécheresse qui
a trop aimé son enfant. Mon Dieu, accueille moi près de toi, fait moi une place
sur ton nuage, l’enfer est arrivé sur la terre et mon enfant a décidé d’en
finir avec moi.
Amen
6. Jean Luc
Il y a trois
jours, les médias annonçaient l’apocalypse :
« Restez chez vous, n’ouvrez la porte à
personne, n’entrez en contact avec personne. Une période de quarantaine est
annoncée, il faut mettre fin à l’épidémie. »
Il y a trois
jours, j’ai cessé de travailler. Plus aucun animal dans mon abattoir.
L’odeur de
la mort me manque, l'odeur du sang, du dernier souffle qui expire.
Les rues des
grandes villes doivent être désertes … ou pleines de gens à tuer.
Des gens ou
des monstres. On ne sait plus ce qu’ils sont.
Et puis ici,
il n’y a rien à faire. Plus de télé, plus personne n’émet, plus de radio, plus
de téléphone... pas de voisins !
L’apocalypse
!
Tout le
monde est chez soi, à finir les restes du frigo et des placards. Et quand ils
auront faims, ils deviendront tous des assassins.
Je dois
protéger Mère de tout ça.
Mais je n’en
peux plus d’être ici.
Le
générateur tiendra bien 40 jours.
Je vais
remplir le congélateur avec les animaux de la basse cour. De toute façon, Mère n’aura
pas la force de s’en occuper. Et j’ai besoin de recommencer à tuer. Dérouiller
ma carcasse qui s’ankylose de ne plus rien faire.
Puis il me
faut une arme. Un fusil, des cartouches. Un sac de voyage. Un duvet. De quoi
manger.
Si je prends
le camion Mère ne pourra plus partir.
Si je pars à
pied, il me faudra plus de munitions…
De toute
façon, Mère ne sait pas conduire.
Il est temps
de partir. Partir à la conquête du monde.
Changer
d’avenir et devenir un véritable tueur, le tueur qui sauvera l’humanité.
Ou l’idiot
qui mourra de faim au milieu d’un désert humain, dévoré par des bêtes affamées…
7. Elisa
Elle m'a
embrassée.
Ca ne
signifie rien pour elle. Juste un baiser pour rire.
Un pied de
nez à nos 30 ans, mon célibat et son nouvel amant.
Pour elle,
le monde reste le même.
Pour moi,
quelque chose change. D'ailleurs, je sens le changement qui commence en moi.
Des années
que je l'aime en silence et elle ne voit rien.
Elle a enfin
quitté Eliot. J'étais si heureuse lorsqu'elle m'a annoncée la nouvelle.
Si déçue
lorsqu'elle m'a avouée qu'elle était déjà avec un autre homme.
Une rage
monte en moi.
Une envie de
meurtre.
J'aimerai
tuer cet inconnu, cet homme qui me vole mes nouvelles illusions.
C'est
étrange. Je n'ai plus envie de pleurer. Son baiser m'a donné une force étrange
et je la sens qui se disperse dans mon corps, elle s'éparpille en moi détruisant
petit à petit mes faiblesses.
Je me sens
forte.
Je me sens
puissante.
Le monde
m'appartient.
Lila sera à
moi.
Je serai un
tueur, mais plus aucun homme ne me brisera le coeur.
8. Eliot
Je suis un
monstre.
Le monde est
à feux et à sang parce que j'ai voulu détruire la femme que j'aime.
J'ai mis au
monde le plus horrible des virus, une arme de destruction massive, et parce que
j'ai perdu la raison un instant, ce virus se répand comme un incendie soufflé
par le vent sur une forêt desséchée.
Dans sa
tasse de café, j'ai versé le poison mortel, quelques gouttes de virus qui sous quelques
heures l'ont transformée en machine à tuer.
Je voulais
qu'elle tue mon rival, je voulais qu'elle soit infectée.
Mais je
n'avais jamais testé le virus sur les hommes et les rats s'entretuaient sans
avoir le temps de contaminer leur congénères.
Un poison
mortel se déverse sur la Terre ,
contaminant les hommes, les bêtes, les plantes?
Je ne sais
même pas s'il est capable de se transmettre autrement que par la salive, je ne
sais même pas s'il pourrait muter...
Ils ont
commencé par mettre la ville en quarantaine et découvert, quelques heures
après, que d'autres villes étaient infectées.
Les pays
voisins ont voulu fermer les frontières mais l'infection avait déjà franchi les
frontières.
Je suis un
monstre.
J'ai choisi
le pire jour pour commettre mon crime: son anniversaire.
Le virus se
développe si vite, qu'à peine contaminé, le porteur sain contamine sans le
savoirs on entourage.
Les gens
ignorent à quel point ils partagent leur salive. Quelques gouttes seulement
sont "mortelles".
Un
postillon, un baiser, un verre partagé, une cuillère... Et le virus prospère.
Je ne touche
plus rien ni personne depuis que j'ai versé le poison dans son café.
Il semble
qu'il ait fallu 24 heures pour qu'elle se transforme en machine à tuer.
C'est plus
long qu'avec les rats.
Je ne vais
plus au laboratoire. Ils savent sûrement que je suis responsable du drame qui
se joue sur la Terre.
Je n'ai pas
trouvé l'anti-virus et enfermé dans mon grenier je ne pourrais pas le
découvrir.
Je suis un
lâche assassin qui se cache terré comme un rat en attendant la fin de l'enfer.
Je suis un
lâche, un assassin, un monstre.
Et je reste
enfermé dans un grenier à attendre que la mort vienne me trouver.
9. Charles
La première
fois que j’en ai vu un, c’était ici.
Là, dans
cette salle d’urgences.
Personne ne
parvenait à la calmer.
Une femme,
une furie. C’était une femme tempête.
Deux
policiers tentaient de la maintenir sur un lit médicalisé.
Un des
hommes avait été mordu et saignait abondamment.
Un infirmier
est arrivé et a tenté de la sédater.
Lorsque
l’aiguille est entrée dans son bras, un bref instant, elle a cessé de bouger.
Il a
rapidement appuyé sur le piston de l’aiguille, pendant qu’elle tournait son
visage dans sa direction.
Alors j’ai
vu ses yeux.
Injectés de
sang et plein de larmes.
De sa
bouche, une salive abondante s’écoulait.
Brutalement,
elle s’est relevée, comme si rien ne la maintenait.
Les
officiers sont tombés au sol et elle s’est jetée sur l’infirmier, la tête la
première en direction de sa nuque nue, offrant ses veines, son sang, sa vie…
elle l’a tué.
Le sédatif
ne l’a pas endormie. Il a apaisé une souffrance immense et lui a donné plus de
force pour attaquer ceux qui l’entouraient.
A cet
instant j’ai compris que la seule chose qui épargnerai la vie des autres
patients, c’était sa mort, sa mort à elle.
J’ai attrapé
le scalpel qui attendait qu’on l’utilise enfin, et comme un fou aveugle, j’ai
marché droit sur elle, à contre courant de tous ceux qui la fuyait, et face à
elle, j’ai tranché sa gorge.
J’ai ouvert
le flux des veines pour vider la pompe centrale.
Le sang a
giclé partout.
Je baignais
debout dans le sang de cette inconnue.
Ignorant la
mort qui allait la frapper d’une seconde à l’autre, elle s’est jetée sur moi.
J’ai mis mon
bras devant sa bouche écumante.
Elle a fermé
ses dents sur ma chair.
La douleur
était si grande que j’ai crié, pleuré sans pouvoir retenir ces larmes qui
envahissaient mes yeux sans autorisation.
Puis elle
est tombée.
La pompe
était vide, sèche. Son cœur ne pouvait plus fonctionner, elle entrait dans le
monde de la mort.
10 Marcelle
Il prend son
temps. Ce temps qui m’est compté, ses secondes qui me plongent de plus en plus
dans le noir, dans la mort.
Je sens déjà
l’odeur de la mort sur mon corps alors que dans ma poitrine mon cœur bat
encore.
L’odeur de
la peur. Je pue la peur.
Une vieille
femme qui pue la peur.
Une vieille
femme de cinquante cinq ans.
Mais quelle
honte !
Relève-toi
vieille carcasse !
On n’est pas
finie à 50 ans.
Tu peux
encore changer ta vie, tu peux encore refaire ta vie.
Mais il faut
être vivant pour ça.
Et trempée
dans la sueur de ma peur, je suis déjà à moitié morte.
« Réveillez
vous » dit la revue posée à mes pieds.
Un sursaut.
Il est
encore temps.
Ses pas sont
lents dans cet escalier qui grince ma chanson mortuaire.
Dans le
coffre, l’arme de Jojo…
Mon Dieu,
pardonnez moi.
Oui, j’y
pense…. Un avortement tardif, tuer mon enfant de 38 ans…
C’est lui ou
moi…
Mais
pourquoi lui plutôt que moi ?
J’ai peur de
la mort. J’ai tellement peur.
Mon Dieu,
comme je suis lâche.
Il ouvre la
porte.
Je suis là,
assise dans mon éternel fauteuil, couverte de mon éternelle couverture.
On pourrait
croire que j’ai 80 ans.
J’en ai 55.
Et dans ma
main droite, serrée sous la couverture, l’arme de Jojo.
Chargée
depuis bientôt 40 ans d’une balle que je n’ai jamais tirée.
Je suis une
couarde, la mort est la seule chose que je ne peux regarder en face.
Alors la
porte s’ouvre et je baisse les yeux.
Je vois son
fusil à bout de bras.
C’est mon
fils. Je dois le regarder.
Je ne peux
pas le tuer sans même le regarder, comme un voleur, un meurtrier.
C’est mon
fils. Mon fils unique.
Le fruit de
mes entrailles, ma créature, mon monstre.
Je pleure en
silence et je lève les yeux.
Comme je
suis lâche.
Me voilà
prête à supplier pour rester en vie, pour ne pas le tuer.
Mais son
visage est doux, serein.
Il n’y a pas
la haine que j’attendais, il n’y a pas la rage.
Il est
calme. Il est décidé.
Il me
quitte.
Le monde a
changé.
Il ne
connaît rien de ce qu’était le monde avant et il ne veut pas faire semblant de
vivre dans cette ferme maintenant.
Il veut
changer sa vie. Il veut vivre.
Alors il
s’en va.
Il ne
s’excuse pas de m’abandonner. Il ne m’abandonne pas.
Le fusil est
pour moi. Une boite de cartouches aussi.
Pour me
défendre si on m’attaque.
Dans le
congélateur de quoi tenir 40 jours.
Tout le
temps de la quarantaine.
S’il survit
dehors, il reviendra peut être.
Il
m’embrasse.
Maman, je
t’aime.
Et il s’en
va.
En silence,
au milieu de mes larmes je crie, Jean Luc, mon fils, je t’aime.
Pardon.
Adieu mon
fils.
11. Elisa
C'était une
magnifique fête d'anniversaire.
J'avais
organisé tout dans les moindres détails.
J'avais
simplement oublié combien je haïssais les hommes et je me suis souvent sentie
étouffer sous leur présence surabondante à cette soirée.
Depuis le
baiser de Lila, il me semble que je les hais encore plus.
J'ai passé
la soirée à les embrasser, à les fuir et à préparer leur mort.
J'ai mis au
point des milliers de possibilités pour les tuer. Je me sentais tellement
capable de le faire que je prenais la fuite. J'ai eu cent fois la crainte de
commettre l'irréparable.
Puis je l'ai
fait.
Il était là, ce nouvel amant. Si fier,
au bras de mon amie, mon aimée que je ne pourrais sûrement jamais posséder.
Un instant,
il l'a laissée, ne pouvant rester près d'elle à chaque instant, dans cette
soirée où tous étaient là pour elle.
Alors je
l'ai suivi. Surveillé comme un chat surveille sa souris sournoisement caché
dans un coin à l'abris des regards.
C'était ma
proie. Et comme un chat, je voulais l'attraper, jouer avec et l'achever d'un
coup fatal.
Dès qu'il a
été seul, je l'ai séduit sans difficulté, conduit discrètement dans une chambre
et quand il a cru qu'il pourrait prendre ce qu'aucun n'a jamais eu, j'ai planté
dans sa gorge un couteau.
Il n'a même
pas eu le temps de crier.
J'ai vu dans
ses yeux la surprise. Ses mains gluantes qui s'accrochaient à ma peau sont
tombées le long de son corps déjà allongé sur son lit de mort. Son sexe raide
s'est effondré comme un château de carte sur lequel j'aurai soufflé. J'ai
craché sur son torse cette salive contaminée par ce goût amer du dégoût des
hommes.
J'ai quitté
ce lit, glissé mon corps sous la douche brûlante pour me laver de cette
souillure horrible qu'est le contact d'un corps d'homme puis, en oubliant le
crime que j'avais commis, j'ai remis ma robe de bal, mes escarpins rouges, j'ai
couvert le corps d'un drap, poussé les vêtements sous le lit, puis je suis
ressortie.
Lila ne l'a
pas cherché longtemps.
Elle est
rentrée chez elle, comme si elle savait déjà qu'il ne pourrait pas
l'accompagnée.
Je l'ai
suivie, espérant lui voler un autre baiser, m'endormir près d'elle, mais elle
voulait rester seule.
Le
lendemain, la police a frappé à ma porte.
Ils avaient
trouvé un corps dans la maison que j'avais louée pour la soirée.
La femme de
ménage que j'avais recruté pour tout nettoyer les avait appelée en panique en début
d'après midi quand elle avait commencé à nettoyer les chambres. L'une d'elle
était fermée à clefs. Elle avait eu du mal à trouver le double et quand enfin
elle était entrée dans la chambre, quand elle avait retirer le premier drap sur
le lit, son hurlement avait pétrifié le temps.
C'est la
voix cassée, tremblotante qu'elle avait appelé la police, les secours. Elle
n'avait réussi à dire qu'un mot: mort. Elle avait répété, hébétée, mort, mort,
mort... incapable de donner son nom, l'adresse. Elle restait au bout du fil, la
voix atone à répéter, sans discontinuer, le seul mot qu'elle pouvait prononcer
pour raconter l'horreur que ces yeux avaient du affronter: mort, mort, mort...
La police
avait eu du mal à localiser l'appel, à trouver les lieux. Ils avaient trouvé la
femme de ménage dans un état catatonique, recroquevillée sur elle même
incapable de parler.
Elle était
en état de choc.
J'étais
indifférente à la nouvelle.
J'avais
commis mon premier meurtre. Et je n'avais pas l'intention de m'arrêter là.
Une pulsion
puissante prenait de plus en plus possession de moi.
Je me
sentais puissante, invincible.
Ils ont dit
qu'ils attendaient que je m'habille. Je devais les accompagner au poste, pour
une déposition.
Un sourire
narquois ne quittait pas mon visage.
Ils ont su.
Je n'ai pas
cherché à mentir
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