Thursday, November 29, 2012

journal de tueurs #10 Marcelle


10- Marcelle



Il prend son temps. Ce temps qui m’est compté, ses secondes qui me plongent de plus en plus dans le noir, dans la mort.
Je sens déjà l’odeur de la mort sur mon corps alors que dans ma poitrine mon cœur bat encore.
L’odeur de la peur. Je pue la peur.
Une vieille femme qui pue la peur.
Une vieille femme de cinquante cinq ans.
Mais quelle honte !
Relève-toi vieille carcasse !
On n’est pas finie à 50 ans.

Tu peux encore changer ta vie, tu peux encore refaire ta vie.
Mais il faut être vivant pour ça.
Et trempée dans la sueur de ma peur, je suis déjà à moitié morte.
« Réveillez vous » dit la revue posée à mes pieds.
Un sursaut.
Il est encore temps.
Ses pas sont lents dans cet escalier qui grince ma chanson mortuaire.
Dans le coffre, l’arme de Jojo…
Mon Dieu, pardonnez moi.
Oui, j’y pense…. Un avortement tardif, tuer mon enfant de 38 ans…
C’est lui ou moi…
Mais pourquoi lui plutôt que moi ?
J’ai peur de la mort. J’ai tellement peur.
Mon Dieu, comme je suis lâche.
Il ouvre la porte.
Je suis là, assise dans mon éternel fauteuil, couverte de mon éternelle couverture.
On pourrait croire que j’ai 80 ans.
J’en ai 55.
Et dans ma main droite, serrée sous la couverture, l’arme de Jojo.
Chargée depuis bientôt 40 ans d’une balle que je n’ai jamais tirée.
Je suis une couarde, la mort est la seule chose que je ne peux regarder en face.
Alors la porte s’ouvre et je baisse les yeux.
Je vois son fusil à bout de bras.
C’est mon fils. Je dois le regarder.
Je ne peux pas le tuer sans même le regarder, comme un voleur, un meurtrier.
C’est mon fils. Mon fils unique.
Le fruit de mes entrailles, ma créature, mon monstre.
Je pleure en silence et je lève les yeux.
Comme je suis lâche.
Me voilà prête à supplier pour rester en vie, pour ne pas le tuer.
Mais son visage est doux, serein.
Il n’y a pas la haine que j’attendais, il n’y a pas la rage.
Il est calme. Il est décidé.
Il me quitte.
Le monde a changé.
Il ne connaît rien de ce qu’était le monde avant et il ne veut pas faire semblant de vivre dans cette ferme maintenant.
Il veut changer sa vie. Il veut vivre.
Alors il s’en va.
Il ne s’excuse pas de m’abandonner. Il ne m’abandonne pas.
Le fusil est pour moi. Une boite de cartouches aussi.
Pour me défendre si on m’attaque.
Dans le congélateur de quoi tenir 40 jours.
Tout le temps de la quarantaine.
S’il survit dehors, il reviendra peut être.
Il m’embrasse.
Maman, je t’aime.
Et il s’en va.
En silence, au milieu de mes larmes je crie, Jean Luc, mon fils, je t’aime.
Pardon.
Adieu mon fils.

2 comments:

  1. ^^ Il y a à la fois un côté très dur et une belle émotion puissante qui se dégage aux dernières lignes : bravo !
    Bisous

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