10- Marcelle
Il prend son
temps. Ce temps qui m’est compté, ses secondes qui me plongent de plus en plus
dans le noir, dans la mort.
Je sens déjà
l’odeur de la mort sur mon corps alors que dans ma poitrine mon cœur bat
encore.
L’odeur de
la peur. Je pue la peur.
Une vieille
femme qui pue la peur.
Une vieille
femme de cinquante cinq ans.
Mais quelle
honte !
Relève-toi
vieille carcasse !
On n’est pas
finie à 50 ans.
Tu peux
encore changer ta vie, tu peux encore refaire ta vie.
Mais il faut
être vivant pour ça.
Et trempée
dans la sueur de ma peur, je suis déjà à moitié morte.
« Réveillez
vous » dit la revue posée à mes pieds.
Un sursaut.
Il est
encore temps.
Ses pas sont
lents dans cet escalier qui grince ma chanson mortuaire.
Dans le
coffre, l’arme de Jojo…
Mon Dieu,
pardonnez moi.
Oui, j’y
pense…. Un avortement tardif, tuer mon enfant de 38 ans…
C’est lui ou
moi…
Mais
pourquoi lui plutôt que moi ?
J’ai peur de
la mort. J’ai tellement peur.
Mon Dieu,
comme je suis lâche.
Il ouvre la
porte.
Je suis là,
assise dans mon éternel fauteuil, couverte de mon éternelle couverture.
On pourrait
croire que j’ai 80 ans.
J’en ai 55.
Et dans ma
main droite, serrée sous la couverture, l’arme de Jojo.
Chargée
depuis bientôt 40 ans d’une balle que je n’ai jamais tirée.
Je suis une
couarde, la mort est la seule chose que je ne peux regarder en face.
Alors la
porte s’ouvre et je baisse les yeux.
Je vois son
fusil à bout de bras.
C’est mon
fils. Je dois le regarder.
Je ne peux
pas le tuer sans même le regarder, comme un voleur, un meurtrier.
C’est mon
fils. Mon fils unique.
Le fruit de
mes entrailles, ma créature, mon monstre.
Je pleure en
silence et je lève les yeux.
Comme je
suis lâche.
Me voilà
prête à supplier pour rester en vie, pour ne pas le tuer.
Mais son
visage est doux, serein.
Il n’y a pas
la haine que j’attendais, il n’y a pas la rage.
Il est
calme. Il est décidé.
Il me
quitte.
Le monde a
changé.
Il ne
connaît rien de ce qu’était le monde avant et il ne veut pas faire semblant de
vivre dans cette ferme maintenant.
Il veut
changer sa vie. Il veut vivre.
Alors il
s’en va.
Il ne
s’excuse pas de m’abandonner. Il ne m’abandonne pas.
Le fusil est
pour moi. Une boite de cartouches aussi.
Pour me
défendre si on m’attaque.
Dans le
congélateur de quoi tenir 40 jours.
Tout le
temps de la quarantaine.
S’il survit
dehors, il reviendra peut être.
Il
m’embrasse.
Maman, je
t’aime.
Et il s’en
va.
En silence,
au milieu de mes larmes je crie, Jean Luc, mon fils, je t’aime.
Pardon.
Adieu mon
fils.
^^ Il y a à la fois un côté très dur et une belle émotion puissante qui se dégage aux dernières lignes : bravo !
ReplyDeleteBisous
Merci.
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